26

avril
2019

Les machines moléculaires : avancées et applications industrielles potentielles

 

"Scrute la nature, c’est là qu’est ton futur". La maxime de Léonard de Vinci fait écho pour nombre de scientifiques.

 

Cet adage définit un process de créativité technologique appelé le biomimétisme : s’inspirer de la compréhension des processus biologiques pour reproduire les phénomènes observés. Sujet d’intérêt sur lequel Bloomoon a d’ailleurs organisé son dernier webinar. Ces processus biologiques font notamment intervenir des « moteurs moléculaires » : des composés qu’il est possible de mettre en mouvement périodique grâce à un signal externe continu (chimique, électrique, photonique).

 

L’exemple le plus emblématique est le cas de l’ATP synthase. Il s’agit d’une enzyme que l’on peut considérer comme un moteur moléculaire mis en rotation par un gradient de protons de part et d’autre de la membrane cellulaire. Suite à chaque rotation, trois molécules d’ATP sont produites. Ces dernières constituent le carburant nécessaire au bon fonctionnement de la cellule. Les moteurs moléculaires sont aussi à la base d’une importante partie de l’activité mécanique des cellules (ARN et ADN polymérases qui avancent activement le long de la double hélice pour copier ou transcrire l’ADN, kinésine et myosine qui transportent les éléments nécessaires au fonctionnement de la cellule).   

Le futur ? Des moteurs moléculaires artificiels obtenus par synthèse chimique. Il en existe notamment deux sortes : les caténanes (deux anneaux entrelacés, la chaîne la plus élémentaire) et les rotaxanes (un anneau en translation le long d’un axe, maintenu aux extrémités par des groupes de taille importante).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Pierre Sauvage, chimiste français prix Nobel 2016 aux côtés de Sir James Fraser Stoddart et de Bernard L. Feringa, a ouvert de nouvelles perspectives. Lors de sa conférence à ChimieParis en juin dernier (Bloomoon y était), il raconte comment il est passé de la recherche de ligands pour la photolyse de l’eau à la synthèse de la première véritable machine moléculaire : un caténane mis en mouvement par oxydoréduction.

 

Grâce à leurs travaux, un nouveau domaine de la chimie a pu être ouvert. Des machines toujours plus complexes sont développées et leur mouvement est de mieux en mieux contrôlé. Tour d’horizon des possibles.

 

 

 

 

  

Courses de Nanovoitures

 

Le CNRS a récemment organisé une course internationale de molécule-voitures (nanocar race) qui a mobilisé 6 équipes. Un microscope à effet tunnel permettait à la fois d’observer et de faire avancer les machines moléculaires. Lorsque la pointe d’un tel microscope est très proche de la surface (inférieur à 1 nm), les électrons passent de la pointe à la surface permettant de générer un courant et donc un mouvement. Chacune des équipes avait envisagé des stratégies différentes : une structure classique châssis – axe – roue (a – sur le schéma à gauche), un aéroglisseur (b) dont la direction peut être contrôlée selon l’atome d’azote qui reçoit l’impulsion ou encore des binaphtalènes, molécules à deux cycles qui pivotent autour de leurs liaisons tel le mouvement d’une chenille (c).

 

S’il est peu probable que cette innovation ait pour vocation d’organiser des compétitions sportives, les courses de nanovoitures restent un moyen ludique et compétitif de faire avancer la recherche par émulation.

 

 

 

Domaine Thérapeuthique

 

Avec les machines moléculaires, il serait envisageable de délivrer un principe actif sur le lieu spécifique de son action. Liu et al. ont ainsi préparé un nano-réservoir (voir schéma ci-contre) capable de libérer et recapturer de petites molécules.

 Ainsi, le paclitaxel est très utilisé dans le traitement des cancers de l’ovaire, du poumon et du sein mais présente les inconvénients d’une forte toxicité et d’une mauvaise solubilité aqueuse. Afin de pallier ces inconvénients impactant l’efficacité de cette molécule,  Papot et al. ont mis au point une navette moléculaire équipée d’un « programme moléculaire » qui délivre le principe actif au sein des cellules tumorales (voir le schéma animé ci-dessous). En effet, la molécule est protégée par le rotaxane dans la circulation sanguine. En revanche, une fois entrée dans la cellule cancéreuse, la molécule est libérée par une suite de réactions chimiques initiées par l’action de la β-galactosidase, une enzyme qui est surexprimée dans plusieurs types de tumeurs.

 

 

 

 

 

Gestion de l'Information

 

 

Nous sommes aujourd’hui confrontés à des problématiques décisives liées à la gestion de données (volume occupé par les serveurs, chaleur générée). En particulier, la course à la miniaturisation des équipements intégrant des semiconducteurs devrait se heurter à une limite autour de la centaine de nanomètres. Parvenir à stocker et échanger de l’information via des machines moléculaires constituerait une révolution dans ce domaine. Stoddart a initiée cette voie en 1994 avec la synthèse de navette moléculaire. Un anneau accepteur d’électrons est en position stable le long d’un axe moléculaire au niveau d’une station riche en électron. Par réduction, il est possible de rendre la deuxième station riche en électrons et d’entraîner ainsi le mouvement de l’anneau. En combinant plusieurs navettes moléculaires, il pourrait être possible de développer des systèmes permettant la gestion de l’information (écriture, stockage) de taille sensiblement réduite et présentant des capacités de stockage bien plus élevées.

 

 

 

  

 

La fascination que la biologie exerce sur les chimistes est bien illustrée au travers des travaux menés par l’équipe de Jean-Pierre Sauvage qui visaient la synthèse de systèmes moléculaires contractiles et extensibles par analogie au fonctionnement du muscle. En effet, le muscle est un objet au sein duquel des filaments glissent les uns sur les autres. Le muscle synthétisé par l’équipe de Sauvage est basé sur ce principe. Il s’agit d’un [2]-rotaxane dimère long de 6 nm en position contractée et de 8 nm après relâchement.

 

En montrant qu’il était possible de contrôler des mouvements de grande ampleur à l’échelle moléculaire, Sauvage, Stoddart et Feringa ont ouvert un nouveau pan de la chimie. Depuis, de nombreux scientifiques se sont intéressés aux questions passionnantes soulevées par les machines moléculaires. La nature pourra être égalée lorsque des scientifiques parviendront à synthétiser des machines moléculaires biocompatibles.

  

Des robots moléculaires qui gèrent de l’information, embarqués sur des nanovoitures et capables d’intervenir sur une cellule malade ? Et pourquoi pas ?

 

 

 

LES AUTEURS 

 

 

Nathalie Pinto - Responsable de Mission

Après un doctorat en chimie organique, j’ai d’abord travaillé dans le financement de l'innovation. Consultante puis manager d'une équipe, j’ai accompagné de nombreuses sociétés dans le domaine des agro-industries.

 

Par la suite, mes compétences se sont affinées lors de missions de marketing stratégique. J’encadre aujourd’hui au sein de Bloomoon, un portefeuille de missions et une équipe de 4 consultants et assure à mes clients des livrables de qualité.

 

 

Jérémy Pons - Consultant Innovation

Avec mon diplôme d'ingénieur, j’ai acquis des connaissances solides dans les différents domaines de la chimie. J’ai enrichi cette formation première avec un double-diplôme à Dauphine en stratégie et économie internationale.

 

Au sein de Bloomoon, j’ai construit un capital de connaissances sur des sujets techniques variés. Ma capacité d'écoute me permet de comprendre des problématiques diverses et d'y apporter des réponses pertinentes.

 

 

 

 

 

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