01

mars
2017

Serious Game : Why so serious?

 

Afin d’apporter à nos clients des solutions innovantes pour concrétiser leurs ambitions, Bloomoon, par le biais de son consultant senior Richard Grondin, s’est intéressé à un outil de plus en plus prisé : le Serious Game.

 

EagleRacing est un jeu de simulation confrontant le joueur à des situations complexes de collaboration ou de prise de décision en équipe. Son but est de permettre au joueur d’apprendre les opportunités et limites des technologies de collaboration au sein des organisations.

 

Innov8 est une simulation 3D développée par IBM dont le but est de mieux comprendre l’efficacité du Business Process Management et son impact sur tout un écosystème.

 

Shortfall est une simulation de supply chain dans le secteur automobile.

 

PlantVille est un jeu 3D développé par Siemens qui donne au joueur l’opportunité de contrôler une usine, d’en évaluer les indicateurs de performances clefs, d’allouer les ressources, d’améliorer les capacités de production…

 

Vous l’aurez compris, le Serious Game (SG) a largement dépassé le stade de la recherche théorique même si, aujourd’hui encore, son efficacité et ses ressorts nécessitent d’être continuellement affinés.

 

 

Origines et enjeux

 

Le concept récent de « gamification » fait référence à l’idée de transposer les caractéristiques et les propriétés du jeu dans des applications sérieuses afin de les rendre ludiques, engageantes et plus efficaces pédagogiquement. L’émergence de méthodologies d’apprentissage basées sur le jeu est une tendance forte de ces dernières années : des initiatives comme European Project Games et Learning Alliance en sont la preuve.

 

Les jeux utilisés à des fins pédagogiques présentent un énorme potentiel motivant pour leurs utilisateurs. En effet, les théories modernes sur l’efficacité de l’apprentissage suggèrent que la formation est facilitée par une situation qui nous permette à la fois d’être actif, de résoudre des problèmes et de recevoir un feedback immédiat. Ainsi, les SG ont tout le potentiel pour offrir expériences d’apprentissage optimales. Pouvant utiliser des technologies de simulation ou de visualisation, ils sont capables de contextualiser l’expérience du joueur dans des environnements réalistes et challengeant, permettant de supporter une situation cognitive. Ils apportent la possibilité de simuler des environnements complexes ou des situations dangereuses voire critiques, le tout pour un faible niveau d’investissement.

 

Il n’est donc pas surprenant que les SG représentent un marché à fort potentiel de croissance (+100% de croissance entre 2014 et 2018, estimé par l’IDATE – voir figure ci-dessous), en particulier avec l’émergence de supports autres que l’ordinateur qui permettent des développements à moindre coût. C’est le cas par exemple des applications pour smartphone. Si les SG n’ont pas pour vocation de remplacer les formes actuelles d’information, de communication ou d’entraînement, ils permettent en revanche d’améliorer ces domaines avec plus d’interactivité et en rendant l’utilisateur plus réceptif au message transmis.

 

Source : IDATE 2014

 

De plus, l’aspect social des SG, qui est naturellement compatible avec des approches massivement multi-joueurs, constituera le point principal d’attention de ces prochaines années aussi bien pour le joueur que pour le professionnel utilisant le SG comme un outil. Jean-Charles Guillet, directeur Innovation Marketing et Services chez Total, lors d’un retour sur l’implémentation de PLAY’INN, un SG dédié à l’innovation et la créativité, confie avoir été surpris par l’engouement collectif que le jeu a suscité sur les 5 continents et sur sa capacité à briser les barrières hiérarchiques.

 

Historiquement, les premiers SG étaient conçus pour entrainer les individus à des tâches particulières dans certains secteurs. C’est le cas notamment de America’s Army, l’un des tout premier SG dédié au recrutement de soldats. Aujourd’hui, on observe une très grande variété de ces jeux si bien que différentes taxonomies ont dû être proposées. Parmi les dernières en date, une classification collaborative en ligne sert de référence internationale avec près de 3300 jeux indexés. Elle s’établit selon 4 dimensions : le Gameplay, l’objectif du jeu (éducation, information, communication…), le marché adressé (divertissement, santé, management, politique…) et l’audience du jeu.

 

Aujourd’hui de nombreux secteurs et fonctions font appel à ce levier pédagogique et ludique. C’est le cas du domaine de la santé (éducation thérapeutique, accompagnement au soins), des ressources humaines (communication interne, formation), du secteur industriel (prévention des risques) ou encore, comme une évidence, du secteur de l’éducation. Côté entreprises, toutes celles du CAC 40 ont eu recours à au moins un SG pour répondre à des problématiques de formation du personnel, de recrutement et d’intégration de nouveaux collaborateurs, de communication externe, de gestion de la créativité... En revanche, les PME représentent un challenge fort pour la diffusion des SG avec un taux de pénétration encore assez faible.

 

 

Comment mesurer l’apprentissage ?

 

La question du retour sur investissement des SG se pose en effet et il est nécessaire de pouvoir démontrer la valeur pédagogique de ces jeux par rapport à une pédagogie classique, notamment en regard du coût de développement d’un jeu. Ainsi, de nombreux chercheurs s’essayent à prendre en considération les aspects pédagogiques du jeu afin de démontrer l’impact éducatif des SG nécessaire à leur adoption massive. Ce mode d’apprentissage nécessite d’être étudié aussi bien d’un point de vue pédagogique que psychologique avec en particulier les processus de métacognition des joueurs.

 

 

Une des caractéristiques principales du jeu est d’atteindre un objectif qui est amené par des indicateurs de progression. Cela permet au joueur de se situer par rapport à la réalisation d’un objectif spécifique. La motivation de l’utilisateur est par ailleurs renforcée quand ces objectifs lui proposent de sortir de sa zone de confort et qu’il est en mesure de visualiser les résultats de ses actions, c’est-à-dire sa progression. Les individus ont en effet tendance à redoubler d’efforts lorsqu’ils sentent qu’ils se rapprochent du but. D’autres techniques comme le passage de niveaux (permettant d’accéder à de nouveaux   mondes du jeu), les améliorations visuelles (comme la personnalisation de son avatar), l’ajout de quêtes et challenges additionnels ou encore l’accès à des mini jeux (cartes, courses, loterie…) renforcent cette idée de progression et donc d’engagement.

 

D’un autre côté l’utilisation de récompenses dans les SG peut être un handicap. Comme l’explique Alfie Kohn dans son livre Punished by Rewards, cette approche aurait tendance à focaliser la concentration du joueur sur les succès du jeu quitte à le détourner de l’objectif pédagogique initial. Kohn a ainsi démontré que lorsque des enfants sont payés pour dessiner, ils produisent plus de dessins mais de moindre qualité. De plus, lorsqu’ils cessent d’être payés ils n’aiment plus dessiner autant qu’avant… Afin d’éviter ce risque, il est donc nécessaire de bien mesurer les effets et les bénéfices d’une approche ludique de l’enseignement.

 

De nombreux auteurs marquent bien la différence entre performance et apprentissage. Alors que le jeu est usuellement orienté vers la performance avec l’atteinte de jalons et le besoin d’établir un score, souvent dans des conditions de temps limitées, l’apprentissage nécessite au contraire du temps pour la réflexion, la répétition, l’auto-évaluation, des pauses et même la possibilité de faire des erreurs. Ainsi le processus du jeu n’implique pas forcément un bon apprentissage même si un score élevé est obtenu… De plus, plus le jeu laisse de la liberté d’action au joueur moins l’apprentissage sera important par rapport à la performance.

 

Les méthodes découlant du jeu permettent de mettre en place une évaluation formatrice (feedback) des joueurs. Un principe fondamental de l’éducation. Cette évaluation permet de communiquer aux apprenants des informations utiles sur les succès, les progressions et vitesses d’apprentissage, les forces et faiblesses et ce, de manière individuelle afin d’optimiser l’enseignement. L’évaluation formatrice identifie donc les différences entre les connaissances actuelles et les objectifs pédagogiques des apprenants. Et cela dans le but de promouvoir un programme de développement efficace et individuel. Dans les SG, il est nécessaire de produire un feedback immédiat, intelligent et formateur pour le joueur. Cela nécessite une intelligence artificielle pédagogique capable de s’adapter à chaque joueur. Une approche de SG intelligent pédagogiquement connue est la Competence-based Knowledge Space Theory (CbKST) établie par Jean-Paul Doignon et Jean-Claude Falmagne. Elle suppose de préétablir un mapping des connaissances contenues dans le jeu. Ainsi, lorsque le joueur accomplit une tâche correctement, le jeu est au fait de toutes les connaissances nécessaires pour compléter cette tâche et inversement, lorsque le joueur échoue, les compétences manquantes sont de même connues.

 

 

Principes clefs du développement d’un SG efficace et engageant

 

Le développement d’un SG est un challenge multidisciplinaire qui place les bénéfices de l’utilisateur au centre du procédé. Ainsi, il existe une grande variabilité de disciplines et de facteurs impliqués dans son développement.

 

En premier lieu, pour qu’un SG soit efficace, il doit trouver un juste équilibre entre amusement et valeur éducationnelle. La conservation d’un haut niveau d’engagement chez le joueur tout au long de la partie est également un élément déterminant de l’impact d’un SG. Il faut pour cela éviter les redondances, donner du feedback en temps réel, faire ressortir les accomplissements et progrès. De plus, il est bon de multiplier les scenarios ou d’introduire des éléments aléatoires afin d’éviter les répétitions ou le caractère trop déterministe d’un jeu.  Ainsi, cela permet au joueur de se laisser surprendre et de lui éviter d’anticiper d’éventuels évènements pouvant le détourner des objectifs pédagogiques premiers. Enfin, la narration est bénéfique dans un environnement éducatif et fournit des opportunités de réflexion, d’évaluation, d’illustration et d’exemplification. Raconter une histoire est une méthode universelle pour engager les gens au travers de quelques archétypes comme le héros, l’ennemi, le mentor, la quête…

 

Minimiser la charge cognitive d’un SG est aussi atout indispensable pour rendre le jeu pédagogiquement efficace. Abaisser cette charge cognitive contribue en effet à conserver un haut niveau d’engagement et d’attention ainsi qu’une bonne jouabilité. Ainsi, un jeu trop compliqué et dont les objectifs ne sont pas clairement annoncés apparaitra trop flou pour le joueur et aura tendance à abaisser sa motivation. Au contraire, un jeu dont les tâches à accomplir sont introduites de manière graduelle et progressive et pour lequel l’interface est suffisamment user-friendly pour que le joueur comprenne ce qu’il doit faire et comment le faire, sera bien plus efficace pour introduire du contenu pédagogique.

 

Par ailleurs, l’aspect collaboratif doit aussi être renforcé par des outils de communication dans le jeu pour supporter les interactions entre les joueurs. En effet, l’apprentissage collaboratif permet en effet d’engager le joueur et montre une influence positive sur l’apprentissage. A ce titre, la personnalisation d’un avatar est un moyen d’aider les joueurs à s’identifier à leur personnage pour se sentir plus impliqués. Les avatars peuvent interagir entre eux dans un monde virtuel via des chats ou directement par la voix. Des mondes virtuels comme OpenSim facilitent l’immersion d’utilisateurs pour collaborer, communiquer ou apprendre de manière ludique. Un point clef du monde virtuel est qu’il n’est pas soumis aux contraintes physiques du monde réel. Nous pouvons donc imaginer des applications diverses et totalement irréalistes comme de marcher sur les anneaux de Saturne pour une leçon d’astronomie ou encore être réduit à une échelle moléculaire pour enseigner la chimie.

 

En résumé, pour faciliter l’apprentissage, il est bon d’adopter une approche constructiviste qui se décompose en trois étapes :

 

  • Le brief initial qui a pour objectif d’attirer l’attention de l’apprenant sur les objectifs pédagogiques, les règles du jeu ainsi que sur les connaissances prérequises ;
  • La phase de jeu doit être simple et intuitive au maximum ;
  • Le débriefing final qui est conçu pour consolider les acquis et aussi préparer leur utilisation dans la réalité.

 

 

Les étapes de conception d’un SG

 

Aujourd’hui, dans l’industrie des SG, le mode de développement le plus couramment utilisé consiste en un jeu individuel et spécifique. Ce type d’outil présente des coûts de production élevés, une faible possibilité de réutilisation ainsi qu’un time-to-market important. Pour une industrie dépendant fortement des avancées technologiques cela implique un risque élevé d’échec commercial. Par exemple, une tendance de transition est observée dans le secteur du développement de logiciel, vers des business model moins centrés sur le produit mais plutôt centrés sur le service. Ainsi, le produit tangible ne constitue plus l’unique offre, mais fait partie d’un package plus large incluant un ensemble de services adaptables. L’objectif est de tendre vers plus de reconversion et de transversalité du produit afin de réduire son temps de développement. Un des moyens utilisés est, de considérer par exemple le SG comme un « Software as a Service » et de développer des outils qui permettent une meilleure quantification des bénéfices des SG.

 

Selon le niveau d’exigence recherché dans un triptyque contenu/technologie/complexité, il faut compter entre 20 et 500 k€ pour le développement complet d’un SG[1].

 

Malgré ce niveau d’investissement important, il est assez simple de démontrer la rentabilité de ce type de jeu si l’on considère des éléments comme la réduction du temps de formation, la réduction des coûts logistiques, l’accessibilité permanente et sans contrainte géographique au contenu du jeu et les économies d’échelle réalisées.

 

Michelle Garnier qui a été en charge du développement d’un SG dont le but était d’améliorer la culture de la qualité chez Sanofi Pasteur[2] revient sur son expérience en définissant 7 étapes clefs préalables au développement même du jeu :

 

1)            Définir les critères de performances recherchés : impact, satisfaction, ROI ;

2)            Définir le périmètre du déploiement : salariés concernés, fonctions supports ;

3)            Définir la structure pédagogique : apprentissage, feedback personnel, compétition ;

4)            Définir le modèle pédagogique recherché : quels sont les comportements clefs à acquérir ;

5)            Etablir différents scénarios ;

6)            Définir les modes d’évaluation : retour individuel/collectif, scoring, visualisation statistique ;

7)            Dimensionner le projet : besoins administratifs, budget.

 

C’est ensuite que commence la phase de game design qui consiste à convertir les compétences pédagogiques à acquérir en compétences de jeu, puis à traduire ces compétences en mécaniques.

 

Ainsi, il ne suffit pas de ludifier des supports de formation ou de conduite du changement existants pour atteindre sa cible. Le développement d’un SG répond à une gestion de projet globale qui nécessite une réelle réflexion. Il ne suffit pas d’attribuer des points ou des scores mais bien d’évoluer vers une réelle interaction par le biais des mécaniques du jeu.

 

Le déploiement est ensuite une phase clef des SG. Le développement du jeu doit suivre une démarche agile impliquant des bêta-testeurs à différents niveaux de l’entreprise. Un autre point primordial concerne le besoin de constamment animer la communauté de joueurs afin de maintenir l’intérêt.

 

 

[1] Stéphane de Buttet, Nordforse, Mardi de l’innovation 29 septembre 2015

[2] EPIDEMIC - Les Mardis de l’Innovation du 29 septembre 2015

 

 

A PROPOS DE L'AUTEUR

 Richard Grondin

 Consultant senior en innovation au sein de BLOOMOON, Richard Grondin est ingénieur en  chimie et génie des procédés et diplômé d’un mastère spécialisé en management de la  technologie et de l’innovation. Il a notamment réalisé des missions de gestion de projet  innovant, de dynamisation de l’innovation et de financement de la recherche.

 

 

 

Retour

Share on :